Elle dit qu’la solitude
C’est quecqu’chose d’assez déprimant
Qu’ça d’vient une habitude
Mais qu’on s’y fait jamais vraiment
Hannah, Les Cowboys Fringants, de l’album La Grand-Messe.
D’un naturel solitaire, j’ai pu expérimenter à maintes
reprises ces paroles. C’est plus ou moins difficile, plus ou moins compliqué à
gérer parfois. On peut vite se retrouver au fond du trou et sombrer un peu plus
à chaque minute qui passe. Ça ne dure jamais très longtemps mais ça va aussi
très vite et ces moments sont souvent insupportables. On peut être entouré de
tous les amis que l’on veut, ça ne reste que ponctuel : la solitude
reprend ses droits sitôt la porte refermée.
Ça, c’est quand on n’est pas encore atteint d’une maladie
chronique quelconque. Alors je ne peux savoir ce qu’il en est de toutes les
maladies chroniques qui peuvent nous tomber dessus mais en ce qui concerne le
diabète, j’ai pu constater que l’isolement se fait plus grand encore. Et pour
des raisons plus ou moins évidentes, plus ou moins justes.
Je ne cesse de le dire : j’ai accepté ma maladie. Je
fais mon traitement, consciencieusement. J’ai pris le pli, accepté les
sacrifices mais pas seulement. J’ai aussi accepté que le diabète ne soit pas
contrôlable à 100% ; qu’il y avait des écarts même avec un contrôle et un
respect strict des règles. C’est un grand pas pour moi qui, pour beaucoup de
choses du quotidien, ne pouvais concevoir de marges d’erreur. À mon système
binaire de pensées, il a fallu que je rajoute quelques chiffres.
Mais il y a une chose que je ne parviendrai jamais, je
crois, à accepter : la discrimination, le rejet, l’incompréhension, même
après l’éducation de l’entourage.
Tout cela est facteur d’isolement pour un diabétique. Mais
ce ne sont pas les seules causes. Certains pourront avoir honte peut-être,
culpabilisant d’être malade, d’avoir tout fait pour l’être et de ne pas en
assumer les conséquences. Ou tout simplement penser que cela n’arrive qu’aux
autres. Ou encore être ignorant de la maladie.
Nous avons peut-être une part de responsabilité mais là, je
dirais que la question ne se pose plus puisque nous ne pouvons faire marche
arrière (ou en tout cas, c’est un autre débat). Nous ne pouvons qu’aller de
l’avant.
Pourtant, bon nombre de facteurs sont à prendre en compte
dans cet isolement : allant du vécu du patient à son entourage au moment
de la découverte de la maladie. Ce qui fait progresser à la fois le diabète et
l’isolement dont nous pouvons être victimes, c’est le manque d’informations sur
cette maladie. Le manque d’informations à destination de l’entourage du patient
mais aussi le manque d’informations entre l’équipe médicale et le patient.
Personnellement, je n’ai pas à me plaindre de mon équipe
médicale. Disponible, elle sait répondre aux questions et dire quand elle n’en
a pas à apporter. Toutes les questions sont régulièrement abordées dans mon
suivi, depuis l’aspect médical pur et dur, jusqu’à l’aspect psychologique. Je
ne me sens pas seul de ce côté-là mais je sais qu’il n’en est pas de même pour
tout le monde. Je parcours régulièrement le net à la recherche d’articles et de
témoignages et c’est ce qu’il ressort le plus souvent : beaucoup sont
largués. Pas assez informés ou pas du tout et je ne parle même pas des
réactions tout autour du malade.
J’ai lu un article quelque part qui disait qu’une
hypoglycémie était parfois assimilée à un état d’ivresse. Aberrant n’est-ce
pas ? C’est l’ignorance et la stupidité des gens qui ne sont pas capables
de réfléchir et qui préfèrent tirer les conclusions hâtives sans se renseigner,
qui contribuent à cette aberration. Et j’en sais quelque chose !
(cf :
Tu fais chier avec ton diabète !). C’est extrême comme cas. Mais s’il existe, il existe alors
tout un tas de réactions qui le sont moins et qui feront, pourtant, tout autant
de mal sinon plus.
En ce qui me concerne, j’ai beaucoup de mal à rencontrer de
nouvelles personnes, quel que soit le contexte et l’objectif de la rencontre. À
moins que ces personnes soient elles-mêmes diabétiques (ce qui parfois
n’empêche pas la stupidité !), je pense systématiquement à devoir prévenir de
ma maladie, histoire de préparer le terrain.
Je suis assez radicale dans ce cas-là : on n’a pas le
choix, il faut accepter la maladie car elle fait partie de moi. Il faut
accepter le fait que je ne vais pas forcément pouvoir partager une part de
gâteau. Il faut accepter que je doive sortir mon lecteur de glycémie et me
piquer le doigt devant tout le monde, geste qui peut rebuter les gens mais qui
est tout simplement primordial pour moi. Il faut accepter que je doive me faire
une injection d’insuline avant mes repas…
Pour ces autres, ils doivent accepter le fait qu’ils sont
ignorants face à cette maladie alors qu’on en connait tous le nom et que la
moindre parole déplacée peut faire que le diabétique va mal le prendre, vous
remettre plus ou moins copieusement à votre place parce que vous l’aurez en
quelque sorte humilié avec des préjugés. Cas extrême, je vous l’accorde mais
qui arrive. Le diabétique a aussi le choix de tourner les talons, d’ignorer
tout simplement… de s’isoler.
Pour ma part, je fais de l’éducation. Je prends le temps
d’expliquer les choses, calmement, posément. À condition que l’on ne soit pas
monté avant sur ses grands chevaux en sortant une pseudo science infuse ;
ou que l’on refuse de comprendre en pensant que l’on a la solution à laquelle
personne n’avait pensé. C’est fatigant de devoir expliquer, oui, mais c’est nécessaire
et je ne rechigne pas à l’exercice.
Il n’empêche que j’ai de plus en plus de mal à rencontrer
des gens. Récemment, je me suis renseigné sur un simple groupe de lecture sur
ma région et rapidement, j’ai ressenti un malaise : celui de devoir me
présenter devant eux et de leur expliquer que je suis malade pour donner une
raison au fait que je ne prendrais pas les divers collations spécialement
préparées pour l’occasion. Ridicule comme raisonnement, n’est-ce pas ?
Alors si c’est si ridicule, pourquoi est-ce qu’il persiste en toute occasion de
ce genre ? Pourquoi je ne parviens pas à oublier cette crainte, cette
lueur étrange dans le regard des autres quand ils apprennent ce que j’ai, ce
qui fait partie désormais de ma vie, de mon quotidien ? Pourquoi j’ai du
mal à répondre à certaines invitations de repas alors que d’autres ne me posent
aucun problème ?
Le regard des autres. Le fait de devoir se justifier. La
peur d’être incompris. Parce que tout cela contribue à l’isolement par la
maladie.
On fait le tri naturellement dans notre entourage grâce à ce
diabète. C’est bien, on gagne du temps et on évite d’alimenter les faux
espoirs.
Mais on peut avoir un groupe restreint d’amis ou la famille
qui nous soutient, qui accepte pleinement cette maladie et nous aide à mieux
vivre avec, cela ne change pas le fait que la vie est faite de rencontres et
que cette peur du jugement ou de la mauvaise rencontre face que l’on s’isole.
Je ne sais pas pour d’autres mais moi, si j’étais sensible avant mon diabète,
je suis devenu hypersensible. Un rien peut me faire basculer. Et c’est valable
autant pour les choses merveilleuses que peut apporter la vie que pour les
choses plus sordides. Pas de juste milieu : ce sont les portes du paradis
que je pousse ou alors celles de l’enfer.
Je vis cela quotidiennement. Il m’arrive, comme en ce
moment, de faire une pause et de me remettre en question, de réfléchir sur ce
genre de choses, de remuer le couteau dans la plaie, tout en continuant à être
aussi dur avec les intolérants. C’est fatigant à la longue, déprimant.
Pourtant, je ne peux pas dire non plus que se soit
complètement noir comme tableau. Car je peux passer un bon moment avec mes
amis, comme l’autre soir, en sachant qu’ils vont à la fois faire attention à
moi et faire comme si de rien n’était. Une soirée tranquille à refaire le monde
autour d’un barbecue.
Et il arrive parfois, rarement mais parfois tout de même, de
faire de belles rencontres. Ce genre de rencontre qui redonne un peu d’espoir,
un peu de confiance en soi et en l’humanité.
Si la personne en question lit ceci, elle se reconnaîtra
sûrement. J’espère qu’elle pensera elle aussi, quand ça n’ira pas, qu’elle est
capable de redonner le sourire à quelqu’un, qu’elle est capable d’enlever un
tant soit peu, le poids de cette solitude que l’on ne recherche pas forcément
24h/24. C’est pour ces personnes que je suis capable de remuer ciel et terre,
de faire fis de mes soucis pour tendre la main, être présent à chaque fois
qu’il le faut, être disponible sans délai. Non seulement parce qu’elles en ont
besoin mais surtout parce qu’elles le méritent. Donc toi qui lis ceci, tu le
sais mais je n’aurai de cesse de le dire : je suis là pour toi.
L’isolement du patient diabétique n’est pas une chose à
prendre à la légère. Il existe, même si celui-ci n’en parle pas. Il pourra dire
qu’il va bien quand on le lui demandera et ça pourra être vrai. Mais il
n’empêche qu’il est atteint d’une maladie chronique, qui ne peut qu’être gérée
plus ou moins bien et que l’isolement est sûrement le pire ennemi qu’il puisse
affronter dans cette épreuve.
Ne restez pas seul.
Conseil que j’ai pourtant du mal à appliquer quelques fois.